"Je ne veux pas mourir seul", de Gil Courtemanche : un genre qui s'affiche au Québec

Par Christine Rousseau

Article initialement publié dans Le Monde des livres le 3. février 2011

Les écrivains québécois pratiquent apparemment l'autofiction de manière plus décomplexée que leurs homologues français. C'est en tout cas ce que semble montrer le nouveau livre de Gil Courtemanche, Je ne veux pas mourir seul : sur la couverture, au lieu du mot "roman", on trouve le terme "autofiction". Une première pour le romancier, qui y relate sans fard sa maladie et le départ de sa femme. Une innovation aussi pour Boréal, sa maison d'édition. "Il y a parfois des auto-fictions qui paraissent déguisées en roman ou en récits autobiographiques, reconnaît Pascal Assathiany, directeur de Boréal. Or, cette fois, avec le livre de Courtemanche, cela nous semblait difficile d'y apposer un de ces termes. Il tenait d'ailleurs à réduire l'espace entre l'écrivain et l'écrivant. Nous avons donc opté pour ce choix, que nous assumons pleinement."

En France, même des auteurs qui sont les plus vifs défenseurs de l'autofiction, Philippe Vilain par exemple, n'osent pas l'imposer sur la couverture de leurs livres. A cela, Pascal Assathiany avance une explication : "Nous n'avons pas le même rapport à l'autofiction qu'en France, où le genre autobiographique remonte à Jean-Jacques Rousseau. Au Québec, l'autofiction s'est développée il y a une vingtaine d'années à peine avec de jeunes auteurs comme Marie-Sissi Labrèche, Nelly Arcan ou, d'une certaine manière, Kim Thuy. La nouveauté, avec Courtemanche, c'est que nous sommes face à un auteur plus âgé qui, jusqu'alors, n'avait écrit que des romans."

Provocation

Genre jeune à plus d'un titre, l'autofiction n'en est pas moins devenue un sujet d'études dans les universités québécoises, comme l'ont illustré les essais de Régine Robin, historienne et sociologue, (Le Golem de l'écriture. De l'autofiction au cybersoi, éd. XYZ, 1997) ou de Madeleine Ouellette-Michalska (Autofiction et dévoilement de soi, éd. XYZ, 2007). "Pour autant, précise encore Pascal Assathiany, l'autofiction n'est ni encensée ni critiquée car il n'y a pas de groupe, d'école ou de courant constitué. Ce sont des textes individuels sur le "moi", qui sont acceptés comme tels. Il n'y a jamais eu de véritables polémiques, contrairement à la France où certaines stars de l'autofiction ont joué sur la provocation. Au Québec, nous restons dans des oeuvres littéraires moins provocantes."

Une exception notable, cependant : Nelly Arcan, dont les premiers livres, Putain et Folle (Seuil, 2001 et 2004), furent vivement attaqués par la critique. Lors de la parution d'A ciel ouvert (Seuil, 2007), sa première véritable fiction, la romancière confiait au "Monde des livres" : "Au Québec, l'autofiction est considérée comme un crime. Mes nombreuses apparitions médiatiques ajoutées à cela, je l'ai payé très cher." Il semble depuis lors que les temps aient bien changé...

JE NE VEUX PAS MOURIR SEUL de Gil Courtemanche. Boréal, 154 p., 19,95 €. En France, le livre sera disponible le 15 mars.

Christine Rousseau