Annie Ernaux, L'Autre fille, Ed. Nils, 2011

Par Véronique Beaudet

Dans L’autre fille, bref récit d’à peine 80 pages, Annie Ernaux écrit une lettre à une soeur qu’elle n’a jamais connue et ressuscite cette petite fille morte qui a façonné son identité.

L’autre fille, c’est Ginette, la soeur d’Annie Ernaux née en 1932 et décédée six ans plus tard de la diphtérie. Annie ne l’a jamais connue, elle est morte deux ans avant sa naissance. Un fantôme longtemps ignoré, qui planait pourtant entre elle et ses parents.

Un secret bien gardé, tabou, qu’Annie a découvert à l’âge de dix ans. Par hasard. Sa mère et son père, qu’elle désigne à la troisième personne du singulier, possédaient une épicerie-café dans une petite ville de Normandie. Un jour, pendant les vacances de 1950, alors qu’elle joue aux alentours du commerce de ses parents, Annie entend sa mère confier à une cliente qu’elle a eu une autre fille, décédée juste avant la guerre.

«Elle est morte comme une petite sainte», dit sa mère, avant d’ajouter, en désignant Annie, «elle était plus gentille que celle-là».

Il y en avait donc eu une autre avant elle. Une autre petite fille qui avait fait ses premiers pas, qui avait prononcé ses premiers mots et qui était entrée à l’école avant elle. Une sainte. Une gentille fille. Alors qu’elle, est ne l’était pas vraiment, gentille. Elle, l’enfant unique, n’était finalement pas la seule.

«Entre eux (les parents) et moi, maintenant il y a toi, invisible, adorée. Je suis écartée, poussée pour te faire de la place. Repoussée dans l’ombre tandis que tu planes tout en haut dans la lumière éternelle.»

Les parents d’Annie ne lui ont jamais dévoilé le secret de cette autre enfant et n’ont jamais su qu’elle savait. Elle n’a jamais osé leur en parler et n’a pas posé de questions malgré quelques indices, des mots chuchotés, des photographies et un livret de famille découverts. Ce récit qu’elle a entendu à l’âge de dix ans de la bouche de sa mère a été le premier et le dernier.

BLESSURE INVISIBLE

«Je suis venue au monde parce que tu es morte et je t’ai remplacée», écrit Annie Ernaux. Les mots sont durs, les phrases courtes, incisives et la blessure est là, invisible, comme cette aînée inconnue et irréelle qui a pourtant eu un impact énorme dans la vie de l’auteure.

Son rapport à ses parents en a été modifié, sa confiance, son estime de soi et sa personnalité se sont en partie forgées par rapport à cette autre fille.

«Tu as toujours été morte. Tu es entrée morte dans ma vie l’été de mes dix ans», lance Annie Ernaux à sa soeur. On se rend compte, finalement, que cette morte a joué un rôle bien vivant.

L’auteure se dévoile sans retenue dans cette missive envoyée à cette soeur disparue. Elle écrit ses blessures, sans fard, les couchent sur le papier tel un poids trop longtemps porté et dont elle doit enfin se débarrasser pour s’affranchir de cette autre fille.

Véronique Beaudet