Laurent Herrou, Je suis un écrivain, publie papier, 2013, 15€98, 228 pages

ISBN 978-2-8145-9125-7

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Après la parution de son premier livre (Laura, Balland, 2000) Laurent Herrou a été pensionnaire d´une résidence d´artiste, dans un petit village français. Pendant un mois, il bénéficiait d´une bourse et d´un logement. Il pouvait écrire. Sans contrepartie. Tout au plus, la personne responsable de cette résidence attendait-elle de lui qu´il tisse avec les villageois quelques liens …

Mais dès l´instant où le narrateur annonce à ses proches qu´il a obtenu cette résidence, il comprend que la relation qu’ils entretiennent à l´artiste est confuse, complexe. On ne sait pas ce que c´est qu´un écrivain, comment ça fonctionne. Du coup, il est soit ignoré, soit raillé, parfois méprisé. De cette expérience, qui pourrait paraître anecdotique, Laurent Herrou tire une véritable réflexion sur la place de l´artiste dans la société, sur le rapport à l´art, sur le regard que peut aussi porter le créateur sur le monde qui l´entoure. « C´est compliqué le rapport à l´art ? Oui. C´est encore plus compliqué le rapport aux artistes. » Qu´est-ce que l´écriture, quelle est sa fonction, quel sens lui attribue-t-on ? Dans ces questionnements, Je suis un écrivain rappelle L´Albatros, poème à la fin duquel Baudelaire décrivait la condition du poète :

« Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »

Comment un auteur peut-il entrer en contact avec ses contemporains, quand il n´a pas ses mots, ou quand ses mots, écrits, ne peuvent pas être le vecteur de cette rencontre ? L´artiste est comme désœuvré. « Le prince des nuées » devient maladroit, malhabile : « Je ne savais pas comment faire. Je ne savais pas comment les approcher, je ne savais pas ce qu´il fallait dire. » Se pose la question de la force des mots, de leur pouvoir ou de leur impuissance : « Je ne voyais pas comment l´écriture allait rencontrer le village. Je ne voyais pas comment mon écriture, mes obsessions allaient rencontrer le village. »

Pour tenter de créer ce lien, Laurent Herrou et son compagnon, photographe, réalisent alors des affiches par l´intermédiaire desquelles ils invitent les habitants à venir les rencontrer, chez eux… Ils les placardent à la mairie, à la boulangerie… Mais personne ne vient. Lors de la remise de la dernière d’entre-elles au patron du bar, Laurent Herrou s’entend dire qu´elle est réussie… et sur le ton de la rigolade, « avec un monstre pareil »… Le monstre c´est lui. « En attendant, le monstre était dans son bar. Il y buvait du café tous les jours. Le monstre devait alimenter les conversations, j´étais Elephant Man. Ça ne servait à rien de crier que j´étais un être humain, de toute façon ils ne le voyaient pas. J´étais un écrivain. J´étais un monstre. Ils avaient peur de moi, en fait. » Sauf que dans cette incompréhension, cette impossible rencontre, l´Autre n´est pas le seul coupable et l´artiste en fait d’ailleurs l´aveu : il avait aussi peur d´eux…

Je suis un écrivain est le récit d’une expérience personnelle qui trouve son sens en dehors d’elle-même : dans ce qu’elle dit des autres, dans ce qu’elle dit de nous. L’autofiction se donne alors à lire ici dans ce qu’elle a de meilleur. Le « je » n’est pas une lunette qui mène au nombril mais l’instrument à partir duquel on comprend le monde qui nous entoure et peut-être où l’on se comprend soi-même… Car le miroir de Laurent Herrou est avant tout celui qu’il tend au lecteur afin qu’il puisse interroger sa propre relation à l’écriture et à l’art en général.

Arnaud Genon