« Je » est ailleurs

Sur Vincent Trovato, Je est un autre. L’écrivain et son double, L’Hamattan, coll. Amarante, 2012.

Commençons par le dire : l’essai de Vincent Trovato, Je est un autre. L’écrivain et son double n’est pas un essai sur l’autofiction. Pourtant, sa lecture ne peut qu’intéresser tous ceux qui se penchent sur les écritures de soi – qu’elles soient ou non autofictionnelles.

Il engage en effet une réflexion linguistique et philosophique qui nous amène à nous interroger afin de savoir qui dit « je » en nous, comment se construit une langue, comment l’écrivain est-il agi et sur quoi il agit lui-même.

Plusieurs de ses réflexions peuvent nourrir les nôtres en relation avec la recherche sur l’autofiction. Sur le « je » et les problèmes d’identité qui lui sont liés, il note que « ‘je’, le terme le plus singulier du singulier est étrangement habité, singulièrement multiple ». S’appuyant sur les écrits de Michel Foucault, il poursuit : « Impossibilité de maintenir la représentation d’un ‘je’ singulier exprimant une identité définie, localisable et stable. ‘Je’ devient un indéterminé, un pronom indéfini ».

La place de l’inconscient dans le langage est aussi évoquée : « Le langage joue énormément avec l’inconscient. Il y puise, il y renvoie, il y crée des départs, il crée de l’inconscient ». Trovato, suivant Lacan, nous amène par ailleurs à repenser le paradigme réel / imaginaire – cher à nos recherches – en passant par le symbolique : « La psychanalyse de Lacan tente de dépasser l’opposition du réel et de l’imaginaire en recourant au symbolique comme sous-sol à la fois pour le réel et l’imaginaire ».

Le dernier exemple – parmi d’autres nombreux – de ce que cet essai peut nous apporter, porte sur la question du sujet, problématique on ne peut plus autofictionnelle : « ‘Je suis’ sonne creux. Il n’y a pas un sujet advenu, réalisé, plein, régnant, s’affirmant, équilibré, sain. ‘Je’ n’est pas un état, une propriété, un caractère, une personnalité, un personnage. Il n’y a que du mélange, du mouvement, des mises ensemble qui se font là où je l’intériorise ».

Ce petit essai nous ouvre des pistes et nous donne à penser, différemment, des questions qui peuvent être celles de toute personne s’intéressant à l’écriture de soi. L’ouvrage ne se réduit pas à la présente lecture, bien évidemment, puisque plus généralement, c’est l’écrivain et la relation à son œuvre, à ce qui lui échappe, qui est interrogé. Mais il est plus que nécessaire d’aller voir ailleurs où « je » est pour pouvoir ensuite revenir où « je » se trouve. Pour peu qu’il puisse se trouver quelque part, lui qui est toujours ailleurs…