Philippe Vilain, Dit-il d’après L’Eté 80 de Marguerite Duras, Nantes, éditions Cécile Defaut, coll. « Lelivrelavie », 2011, 88 p., 12 euros. Compte rendu de Sylvie Loignon.

La nouvelle collection des éditions Cécile Defaut, dirigée par Isabelle Grell, spécialiste de l’autofiction et plus particulièrement de Serge Doubrovsky, est née d’une belle idée : « relever le défi que Roland Barthes, nous jeta dans son livre le plus autobiographique : Roland Barthes par Roland Barthes. Ce dernier regrettait ne jamais avoir réalisé un projet de livres qui lui tenait à cœur : “le livre/la vie (prendre un livre classique et tout y rapporter de la vie pendant un an)” ». Pendant une année, les auteurs de cette élégante collection écrivent non pas seulement sur l’écrivain, l’artiste ou l’œuvre de leur choix, mais avec eux. Se prêtant à cet exercice, Philippe Vilain évoque ici sa rencontre avec un écrivain, Marguerite Duras, à Paris, en janvier 1991, et plus encore sa rencontre avec une œuvre singulière : L’Eté 80 (1980). On ne peut qu’être séduit par ce dialogue qui s’esquisse au fil des mois et des mots.

Lire / Ecrire

Cette intimité de l’écrivain avec l’œuvre lue et relue doit s’entendre en ce qu’elle révèle un retour à soi : « La mer déclenche le mouvement rétrospectif de la mémoire, non le retour sur soi mais le retour à soi » (p. 71). L’Eté 80 semble ainsi cristalliser toutes les temporalités – à l’image sans doute de Trouville, de son chemin de planches et de la rue de Londres sans cesse arpentés - : le passé (le souvenir des grands-parents, l’enfance, les lectures, la venue à l’écriture), le présent (l’apparition de Pauline, l’écriture encore), le futur (les livres à venir trouvent dans L’Eté 80 leur origine). Et parlant de ce livre, Vilain dresse une sorte d’autoportrait double : le lecteur (le lecteur critique aussi bien) / l’écrivain, les deux faces d’un même rapport au monde et au livre. Si Vilain pratique l’autofiction, y consacre des essais, pour lui le livre et la vie ne s’opposent pas, ils interagissent. Ainsi, la rencontre avec Duras peut-elle s’entendre comme une rencontre avec la littérature même. Voulant vivre de manière romanesque, Vilain confie ainsi à Duras sa volonté de se rendre au rendez-vous fixé par la jeune monitrice au petit garçon aux yeux gris l’année de ses dix-huit ans. « Petit livre sur rien » (p. 73) et chronique d’un été pluvieux, L’Eté 80 relève du « romanesque de l’inaction » (p. 36), déplaçant l’événement de l’extérieur vers l’intérieur, interrogeant Vilain sur son rapport intime à la vie autant qu’à l’écriture. Si L’Eté 80 ouvre à une posture d’écrivain, amenant celui-ci à se situer dans le champ littéraire (et, partant, à condamner les contemporains qui pratiquent une prose oralisée ou ceux qui veulent faire carrière à défaut de faire œuvre), il rend l’écrivain à lui-même en le faisant en quelque sorte passer d’une existence au figuré à une existence à la lettre. En cela aussi, vie et écriture, vie et littérature sont inséparables.

Ecrire / Dire

Dit-il, le titre donne à entendre combien la voix est importante, combien résonnent les mots de Duras, repris, réécrits par Vilain. Car Dit-il ouvre autant au dialogue qu’au discours rapporté : s’y inscrivent différentes énonciations. La reproduction des deux dédicaces faites par Duras entre dans cette logique, tout comme la citation des pages qu’il consacre à L’Eté 80 dans L’Autofiction en théorie, l’analyse de Yann Andréa Steiner ou encore le pastiche d’un dialogue inexistant de L’Eté 80. Celui des retrouvailles entre la monitrice et l’enfant, douze ans après leur rencontre initiale. Dit-il serait alors une façon pour Vilain moins de combler l’absence que de reconduire sa fascination pour ce qui n’a pas été : personne n’était là au rendez-vous auquel il s’est rendu, seul. Les dates sont ainsi au fondement de ce livre : Duras se trompe sur la date de leur rencontre en janvier 1991 ; elle modifie la date du rendez-vous entre l’enfant et la monitrice dans Yann Andréa Steiner – comme pour garder le secret sur leur histoire, pour la préserver de toute effraction par le lecteur. Un rendez-vous manqué ou différé avec le réel, tel serait le moment même de l’entrée en littérature. Dès lors, la chronologie du livre de Vilain, égrenant les mois de l’année 2010, telle une chronique, fait entendre ce mouvement différé propre à l’écriture – une écriture « moi par moi ».

Sylvie Loignon.