L’Exposition « Autofiction » à l’Institut Français de Rabat, présentée en co-production avec la galerie 127 de Marrakech et sous le commissariat de Bernard Millet, rassemble les œuvres de deux photographes : Gilbert Garcin et Safaa Mazirh, jusqu’au 23 février 2014. Faufilons-nous dans l’institut pour savourer l’autofiction de deux artistes qui livrent, telle une confidence, les sinuosités de leurs vies, nous enveloppant d’une atmosphère à la fois onctueuse et âpre, propre à la vie.

Autofiction : « Cette exposition rassemble autour de la thématique de l’autofiction les œuvres photographiques de deux artistes qu’en apparence rien n’aurait permis de rapprocher».

Alors décomposons et définissons. Auto : « Préfixe, du grec autos, soi-même, lui-même (…)» (définition Dictionnaire Larousse). Fiction : « nom féminin (latin fictio, -onis, de fictus, imaginé) Création de l’imagination ; ce qui est du domaine de l’imaginaire, de l’irréel (…) » (définition Dictionnaire Larousse).

Le terme autofiction est donc un néologisme, c’est à dire une formation linguistique construite à partir d’un vocabulaire préexistant. Ce néologisme a été créé en 1977 par l’écrivain Serge Doubrovsky, lors de la parution de son roman « Fils ». L’autofiction peut être considérée comme un genre littéraire à part entière, où l’auteur se base sur son vécu, son histoire et ses souvenirs, en les narrant sous la forme de la fiction. En littérature, l’autofiction est une combinaison entre l’autobiographie et le roman. Ce terme peut être appliqué à bon nombre d’artistes, évoluant dans des disciplines artistiques diverses, et c’est d’ailleurs ce qui rassemble Safaa Mazirh et Gilbert Garcin à l’Institut Français de Rabat.

Pénétrons dans la galerie d’exposition de l’Institut Français de Rabat. Deux univers photographiques, et deux salles, l’une dédiée à Gabriel Garcin et l’autre à Safaa Mazirh. Parlons de deux « naissances » photographiques. De deux éclosions artistiques parallèles. L’une est celle de Gilbert Garcin, né à la Ciotat en 1929, qui vit et travaille à Marseille, et l’autre celle de Safaa Mazirh, née à Rabat en 1989, qui y vit et y travaille encore aujourd’hui.

Gilbert Garcin, ancien patron d’une société de luminaires à la retraite, saisit un appareil photographique pour agrémenter son temps libre, et un stage lors de l’une des éditions des Rencontres photographiques d’Arles lui fit définitivement s’éprendre de la photographie, par la découverte de la technique du photomontage, qui est depuis devenu sa « signature » photographique. Depuis le milieu des années 90, il a participé à un nombre étourdissant d’expositions collectives et personnelles, de festivals et de biennales de par le monde, et en 2013, les Rencontres photographiques d’Arles ont rendu hommage à son travail à travers une rétrospective. Il fait entre autre partie des collections publiques de la Maison Européenne de la Photographie, de la Fondation Regards de Provence ou encore du Fonds National pour l’Art Contemporain.




Gilbert Garcin est un photographe de la mise en scène, fabriquant ses propres effigies, taillées dans du carton, dans des postures différentes, qu’il insère dans des univers singuliers. Généralement personnage principal de ses mises en scènes, il a également reproduit la silhouette de son épouse, Monique, l’intégrant à ses mises en scènes. Gabriel Garcin met en scène le tourbillon de la vie, ses méandres capricieux, ses états d’âmes et les interrogations survenues tout le long de sa route, sur les fondements de l’existence. L’amour et ses tourments, le temps qui passe, la condition humaine… L’avenir, la société, l’évolution, le caractère humain…

Gilbert Garcin décortique, dissèque la vie dans toute sa complexité en mettant en scène ses silhouettes dans des atmosphères surréalistes et fantastiques. Ses photographies en noir et blanc ont indubitablement une puissance évocatrice et symbolique frappante. L’œuvre allégorique d’un homme qui interprète le monde et sa vie, avec clairvoyance et sincérité. Par la réalisation de photomontages, Gabriel Garcin créer une projection de sa propre vie, délibérément autobiographique, mais définitivement universelle. Les photographies de l’illusionniste Gabriel Garcin, dans la simplicité des matériaux de construction de ses mises en scène, qui font toute l’ingéniosité des photographies, dans la finesse subtile de ses titres et dans son discernement magique de la vie sont tout bonnement unique. Gabriel Garcin conte la vie avec poésie, et chacune de ses photographies, constat de vie, nous plonge dans une méditation tantôt badine, résignée, ou sombre.

On ne peut qu’être touché par la rencontre photographique de la silhouette de Gabriel Garcin et de Monique, ça femme. « L’union » (2001) met en scène le photographe et sa femme, du haut de deux murs séparés, inclinés l’un vers l’autre, les mains entrelacées, créant un pont, un lien, leur union. Une représentation allégorique de l’union, résultat de la connexion de deux individualités. Gabriel Garcin dévoile probablement, dans « Garder son indépendance » (1999), l’une des clés de voute du couple. « L’ambition raisonnable » (2007) présente Gabriel Garcin, dans un paysage épuré, surplombé par la lune, tel un funambule en haut d’une échelle, tentant d’attraper une seconde lune, plus accessible, descendue sur un fil blanc. Sa mise en scène évoque l’expression « décrocher la lune », l’impossible, le plus souvent perdu d’avance, et le choix d’une ambition raisonnable. Dans « Rien n’est parfait » (2007), l’artiste, baignant dans un amoncellement de cerceaux, contemple un cercle brisé, dévoilant la vision chimérique de l’homme qui croit à l’idéal.

L’engouement photographique de Safaa Mazirh s’est développé lors des ateliers dispensés par l’association Fotografi’Art de Rabat. Sa passion du monde de l’art l’a amenée à capturer la figure de l’acteur sur scène dans différentes pièces théâtrales de Rabat à Kenitra en passant par Casablanca. Ses photographies spontanées ont été appréciées, et elle est devenu photographe pour des associations et compagnies de théâtre. Elle travaille aujourd’hui pour l’association Fotografi’art, en tant que photographe et animatrice d’ateliers de photographie.

Saafa, les yeux cernés d’un pigment noir profond, laisse apparaître deux amandes vives et perçantes, dans lesquels se reflètent autant son caractère pétillant qu’une mélancolie crue. Son tempérament pudique rentre en interaction avec l’instant où, affranchie, semblant délivrée de tout, son humeur virevolte vers une joie expressive, recueillie précieusement par son interlocuteur. Assurément, c’est par la photographie que Safaa Mazirh se dévoile et se libère aussi.

Les photographies révélées aujourd’hui font parties de la première série photographiques de l’artiste : « Poupées de chair ». Safaa Mazirh s’est entourée de poupées, chinées ici est la, comme bon nombre d’autres objets qu’elle accumule, « comme ça », « des petites courses » au gré de ses errances. Leur présence dans son espace de création, Fotografi’art, l’a amenée à rentrer en interaction avec ces petits êtres de chair celluloïd. Safaa construit, met en scène pour exprimer ses déchirures à travers les poupées autant que par son propre corps. Safaa Mazirh confie la charge à ses poupées de porter, de traduire son histoire personnelle, tout autant que de la préserver. Un travail entre confession et retenue, qui parle de lui-même. « Poupées de chair», Safaa en parle comme d’un travail qui s’est bâti instinctivement, et qui a pris sens progressivement. C’est d’ailleurs ce qui transparait dans ses photographies en noir et blanc, photographies de l’instant, de l’instinct, dictées par la nécessité d’extérioriser une part d’elle-même.

La poupée. Objet de l’enfance, considérée comme un ami, un confident à qui les enfants peuvent livrer leurs secrets. Considérée comme un objet transitionnel, permettant de s’affirmer, découvrir la valeur du partage, de projeter sur elle le rôle qu’on lui confie, et par là que l’on se confie : comme un ami ou comme un être plus jeune que soi, dont on prend soin. Miroir de soi-même, autre que soi, la poupée est l’être dont on crée l’identité par l’esprit. En grandissant, la poupée peut devenir un objet sur lequel on pose un regard tendre ou nostalgique, mais qui conserve toujours son pouvoir symbolique.

Ici, la poupée est humanisée, Safaa Mazirh lui donne une cérébralité. L’expression du visage des poupées restera statique, immuable, mais Safaa fait bouger les corps, et donne de l’expressivité à la poupée, où l’on ne pensait pas en trouver. On se retrouve à prêter des sentiments et des états d’âmes à ses poupées, dans les situations dans lesquels la photographe les place, et grâce à un jeu d’ombres et de lumières subtil. La poupée n’affiche pas sa neutralité de marbre légendaire, car Safaa Mazirh la lui a ôtée. Dans ses mises en scènes sobre et sombre, la poupée, symbole de l’enfant, semble parfois extrêmement chétive, faible, livrée à l’impunité de l’autre, la mise en scène la rendant grave, exprimant une profonde solitude. Les poupées, plongées dans le silence, affichent faussement un caractère paisible. Les yeux vifs de la poupée, dans certaines photographies, nous scrutent, perturbants. Dans l’un des clichés, la poupée prend une pose de catalogue, la main charnue posée sous le menton, nous regardant, paisiblement. Mais ce petit être potelé semble usé, fatigué par la vie. Cette série photographique suggère, tout en laissant l’opportunité à chacun d’y trouver son propre sens. Poignante, bouleversante, parfois même angoissante, cette série retrace et décline l’image de l’enfant, livré tant à la tendresse qu’à l’extrême cruauté de la vie.

Les deux photographes, dans leurs épanchements, rentrent merveilleusement en conversation. Une conversation de deux lignes de vies, entre fiction et autobiographie, qui, lorsqu’elle est livrer aux lecteurs d’images, fera l’objet d’autres constructions, au fil des déambulations dans l’exposition, chacun pouvant créer ça propre autofiction, grâce au style fortement évocateur de ses deux splendide rescapé du tourbillon de la vie.

Constance Durantou-Reilhac http://www.lnt.ma/culture-maroc/exposition-autofiction-recits-du-tourbillon-de-la-vie-97136.html