7 années de bonheur, Paris, Editions de l'Olivier, 2014

Critique par Philippe Chevilley pour Les Echos

Nouvelliste singulier, auteur de BD, cinéaste à ses heures (son film « Les Méduses » a obtenu la caméra d’or à Cannes en 2007), Etgar Keret se livre à un exercice, a priori, convenu avec  7 années de bonheur – chronique intime du quotidien à Tel-Aviv, de la naissance de son fils à la mort de son père. Mais de ce quotidien, le trublion des lettres israéliennes, tire tout ce qu’il y a de plus insolite, drolatique et joyeux.

Davantage qu’une sympathique autofiction, ce livre est l’œuvre d’un fin humoriste, qui manie habilement le paradoxe, passe des gags rose layette (la dictature du « Gros bébé ») aux saillies beaucoup plus noires (cette femme dans un jardin public qui demande à l’auteur si son fils de trois ans sera un jour soldat). Raconter, l’air de rien, une vie de rien, dans une ville menacée tous les jours par les bombes, ce n’est pas rien…

Sur le fil de la tragédie

On rit sans cesse sur le fil de la tragédie : quand Keret et sa femme, convaincus que l’Iranien Ahmadinejad va anéantir Israël, décident d’arrêter de faire le ménage et la vaisselle ; où quand ils jouent au Pastrami avec leur petit garçon – pris en sandwich entre eux deux couchés au bord de la route lors d’une alerte ; lorsque le père de l’écrivain, atteint d’un cancer de la langue, opte pour une opération risquée, tel un businessman convaincu d’avoir débusqué une bonne affaire…

L’(auto)-dérision, le « politiquement incorrect » sont le lot ces « 7 années », évoquées en 35 chroniques. Mais l’écrivain sarcastique est aussi un humaniste. Farouche partisan de la paix, Keret défend son pays avec tendresse : peuple habitué aux bombes, à la violence, (sur-)vivant à la crainte récurrente d’une destruction. L’extrémisme, qu’il soit arabe ou israélien, le désole. Tout comme l’intégrisme religieux – ainsi, a-t-il des mots terribles pour sa « regrettée » sœur : « Voilà dix-neuf ans, dans une petite salle de mariage de Bnei Brak, ma grande sœur est morte et elle vit maintenant dans le quartier le plus orthodoxe de Jérusalem. »

On sillonne Tel-Aviv, mais on voyage aussi dans le monde (Salons du livre, lectures). On passe du trait d’esprit le plus léger à des considérations profondes sur le métier d’écrivain, ou à de purs moments d’émotion (« Idolâtrie », le chapitre bouleversant dédié à son frère). Le livre est court – on gagne à le lire lentement, dégustant chaque miette de ces « 7 années de bonheur ». Le rire et l’amour sont décidément les meilleures armes pour désamorcer les bombes.

7 années de bonheur, Editions de l'Olivier, 2014

Lien :

http://www.lesechos.fr/week-end/culture/0203494778909-desamorcer-les-bombes-1013653.php?xtor=RSS-2216&kRkG4bGIRhChHES0.99

publié par Isabelle Grell