«Les jours venus»: Romain Goupil, même pas vieux

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Le réalisateur a plus de 60 ans mais, dans sa façon de raconter un peu de ses angoisses, de ses espoirs, de ses doutes à coup de grandes embardées dans son parcours personnel, son cinéma est tout sauf assis.

Il y a le jour. Et les jours.

Le jour, c’est celui de sa propre mort, dans la formulation contournée du marchand de pompes funèbres, expliquant ce qu’il conviendra alors qu’il soit fait, et ce qu’il est même souhaitable de faire d’ores et déjà en vue de cette inéluctable et statistiquement de moins en moins lointaine occurrence.

Les jours, ce sont ceux qui sont advenus, depuis la naissance du petit Romain jusqu’à exactement aujourd’hui, maintenant. Ils sont venus, ces jours, ils ne sont pas entièrement partis. Ils ont laissé des traces, ils ont fabriqué quelque chose. Le Romain de maintenant, justement, celui qui se dirige vers «le» jour à venir, comme tous les vivants, et qui le sait, comme tous les humains.

Humain et vivant il l’est, ce Romain-là, grand corps un peu raide, grande gueule un peu de même, séducteur, naïf, filou, amoureux, batailleur. On le connaît un peu, il a fait des films, il vient de temps en temps à la radio, à la télé, dans les journaux. Il s’adresse à ses spectateurs comme si c’était ses potes, pour raconter un peu de son histoire, de ses angoisses, de ses espoirs, de ses doutes. Un peu d’une existence pas comme les autres (aucune existence n’est comme les autres), et pourtant avec des bouts d’échos plus ou moins directs, plus ou moins audibles, avec celles de tant d’autres, mais très loin de la sociologie, de la statistique, de l’échantillon représentatif. A grandes embardées dans son parcours personnel, qui est aussi un bout de l’histoire du monde de ces cinquante dernières années, de Mai 68 à Sarajevo, de Hô Chi Minh à Daech.

En France, une bonne part du dernier semestre de 2014 a été consacré à la promotion rétrospective du cinéma de Claude Sautet, réalisateur très estimable qui fut entre autres choses le chroniqueur affectueux et attentif du vieillissement de sa génération, celle qui était déjà vieille à 50 ans, en 1975. Goupil a l’air de faire la même chose, et fait le contraire. Il doit régler ses problèmes de points retraites et accompagner des vieux potes à l’hosto, ou dans la tombe, mais en 2015, à plus de 60 ans, il n’est pas encore vieux.



Aux antipodes du cinéma assis, comme disait Rimbaud, sinon rassis de Vincent, François... et la smala, Romain, Sanda, Jackie, Coyotte, Baptiste, Valéria, Noémie et les autres se retrouvent dans un cinéma débraillé, pas sage, foutraque et plutôt fier de l’être, matamore, un peu gamin avec les tempes grises et la bedaine qui point, quand ce n’est pas pire. On peut frémir aux analyses géopolitiques à deux euros et aux errements d’une boussole idéologique affolée, parfois myope, toujours généreuse, on ne quittera pas pour autant cette sorte de gigue d’amour, qui invente ses pas à mesure tout en repassant dans les sentiers d’une existence.

Amour de sa femme et des femmes, amour des amis, amour des enfants et des parents, de la ville et de la campagne, des mots et des actes, amour du jeu, jusqu’à bout de souffle. Avec ses pianos qui tombent et ses vidéos captées sous les balles des snipers en Bosnie, avec son assos de vieux activistes empêtrés dans leurs contradiction et l’imaginaire d’encore un film à faire, d’encore une romance à vivre, avec le défilé des vieux complices et des belles compagnes, avec son bricolage de home vidéo et de rendez-vous avec l’Histoire, Les Jours venus fait comme son auteur, personnage et acteur principal, anti-narcisse qui ne se regarde que pour voir les autres. Dans une tonalité qui évoque souvent Le Testament comme le chantait Brassens, faisant flèche et feu de joie du chêne ou du sapin de son cercueil, il fabrique une chaleur, une présence et un élan. C’est beaucoup.

Les Jours venus de Romain Goupil. Avec Romain Goupil. Et Sanda Charpentier, Emma, Clémence, Jules, Caroline et Odette Charpentier, Pierre et Sophie Goupil, Valeria Bruni-Tedeschi, Marina Hands, Noémie Lvovsky, Jackie Berroyer, Florence Ben Sadoun, Esther Garrel. Et aussi, brièvement, Daniel Cohn-Bendit, Arnaud Desplechin, Rémy Ourdan, Mathieu Amalric, André Glucksman, Alain Cyroulnik... Durée: 1h30. Sortie le 4 février.

publié par Isabelle Grell