Mémoires d’Agathe

Didier Pourquery L’Eté d’Agathe Grasset, 190 pp., 17 €.

On ne la connaissait pas, mais on connaît bien son père, Didier Pourquery. Il a été longtemps journaliste à Libération, puis il est parti vers d’autres lieux, avant de revenir pour diriger la rédaction de Libé, en août 2007. Quand il est revenu, sa fille venait de mourir, quelques jours auparavant, le 8 août, à 2 h 40, sur son lit de l’hôpital Foch près de Paris. On ne le savait pas. Y a-t-il des mots pour dire la mort de sa fille, 23 ans, atteinte de mucoviscidose ? Didier Pourquery paraissait le même, élégant, avec son crâne rasé, sa courtoisie si agréable. «Hier soir, sur la terrasse de Libé, rue Béranger, ndlr, j’ai pris mon portable et je t’ai appelée. J’ai voulu te raconter le bouclage, la folie, mais je suis tombé sur ton répondeur. «Ça m’a fait du bien, même si j’ai sangloté longtemps après.

La ligne sera coupée d’ici peu et je n’aurai même plus ton répondeur pour écouter ta voix ; ni tes quelques messages enregistrés qui vont eux aux aussi disparaître de mon portable ; cela m’angoisse. Ta voix me manque tant, Agathe, même quand elle était lasse.

«Il y a tellement de choses que je voudrais te dire ce soir, mon Agathe. Je vais les écrire dans un livre, ça me fera du bien de te les raconter… de te raconter. Je t’aime.»

Ainsi s’achève l’Eté d’Agathe, le journal des derniers jours de sa vie qu’a tenu son père. Qu’en dire ? Une critique littéraire ? Cela n’a pas de sens. C’est là, comme un abîme. Le malheur absolu comme l’absence n’ont pas de baromètre. Il fait nuit, c’est tout, une nuit profonde, sans étoile, ni aurore à venir. Même le Christ sur la croix n’avait eu que ces mots : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?»

Pourtant, à la fin de la lecture de ces pages, il reste quelque chose, comme une image, un émerveillement aussi autour d’Agathe. Agathe a donc toujours été malade, toussotant toute sa vie, subissant des cures régulières d’antibiothérapie, puis une greffe de poumon qui réussit quelques années, puis une autre. Comme le raconte son père, sa vie a été aussi banale, avec ses sœurs, ses amours, ses agacements.

Ses peurs aussi. «Un samedi matin de septembre, elle a éclaté en sanglots ; elle glissait. Pris de court, je dis n’importe quoi ; je lui suggérai de se fixer des buts à court terme. "Peut-on être heureux comme ça", me demanda-t-elle, avant de retourner à son silence», écrit son père. On était en septembre. «Depuis toujours, auprès d’Agathe, nous attendons. Nous attendons qu’elle aille mieux, qu’elle s’éclaire, qu’elle s’endorme, que sa quinte de toux s’achève, qu’elle se réveille de sa sieste ou de son anesthésie. Nous attendons depuis si longtemps et notre attente se conclut toujours par un sourire d’Agathe.»

En juin, elle adresse un SMS à son père, juste après que ses médecins lui ont dit qu’il n’y avait plus rien à espérer : «Aujourd’hui j’ai eu la discussion la plus importante de ma vie avec Marc son médecin, ndlr. Celle qui était tant redoutée. Comment continuer de penser ? Je vous aime.»

On ne sait rien d’Agathe, mais voilà une fille qui va mourir, elle le sait, et elle murmure cette interrogation, aussi terrible que magnifique : «Comment continuer de penser ?» Et si les mots de son père n’étaient finalement qu’une façon de tenter de répondre ?

Eric Favereau

Initialement publié sur le site de Libération : http://www.liberation.fr/france/2016/01/22/memoires-d-agathe_1428277

Mise en ligne Arnaud Genon