Hélène Bruller, Je ne veux pas vieillir, Ed. Gugo Desinge, septembre 2017 par Yves Frémion, http://bandedessinee.blog.lemonde.fr/2017/09/14/helene-bruller-ne-veut-pas-vieillir/

Dans l’horrible vogue « girly » qui a jeté sur le marché une foule d’auteures qui savaient à peine dans quel sens tenir un crayon, on en a vu quelques unes, devant un inattendu succès, se mettre à travailler et améliorer leur dessin, au point de bien se tenir désormais en librairie et de s’ouvrir à un autre public que des légions d’aniconètes néologisme : équivalent d’analp.... D’autres dessinatrices, surfant sur cette vague, ont trouvé un public supplémentaire à celui qu’elles auraient eu sans cette mode. Dessinant mieux, mais touchant aux thématiques très « filles » quand même, elles réunissent public « girly » et public BD traditionnel, pour la plus grande joie de leurs éditeurs.

Hélène Bruller, qui a de qui tenir car petite-fille de Jean Bruller, illustrateur de l’ « école Gus Bofa » avant de devenir écrivain et de signer Vercors, a fait les Arts déco avant d’entamer sa propre carrière de dessinatrice. D’une certaine façon, elle parodie les dessinatrices de la vogue « girly » par un dessin minimaliste, efficace, craché au fil du geste, tout en utilisant leurs thèmes. Elle en a traités quelques uns dans des albums comme Je veux le prince charmant ou Hélène Bruller est une vraie salope, dont elle se faisait, comme elles, l’héroïne. Elle surfait cette fois sur une autre vogue, celle de l’autofiction.

Si parler de soi sert à parler de l’universel, la plupart des dessinatrices « girly » n’y parviennent guère. Chez Bruller, au contraire, le but est atteint. Ce qui la distingue, c’est la férocité de son humour, absolument sans complaisance aucune, et l’hystérie de son trait énervé. Parler de la dégradation, sans issue, de son propre corps, nécessite une grande force et une bonne dose d’humour noir. Cette dégradation chez une femme physiquement canon n’en est que plus cruelle et très mal vécue par celles qui en sont les victimes. Bruller ne nous passe rien, en exagérant manifestement – si l’on en croit les récentes photos de celle qui n’est pas encore quinqua.

Sa manière de se dessiner avec de grosses lèvres de botoxée, de passer par toutes les variantes du vieillissement, comme un catalogue des horreurs attendues, ressemble fort à un rituel mystique où l’on exprime violemment ce que l’on cherche à repousser, comme on confectionnerait un gri-gri. Là, il s’agit surtout de cheveux gris-gris ! Elle dessine aussi ça et là des visages plus réalistes (y compris le sien où elle retrouve sa beauté) qui contrastent avec les caricatures des autres. On sent que c’est dans ces passages que l’autobio l’emporte sur l’autofiction.

On peut reprocher à Hélène Bruller d’être un peu trop bavarde dans ses pages où il arrive que le dessin soit écrasé par les phylactères. C’est là le risque de ce type d’histoire où les choses doivent être dites autant que montrées. Les textes gagneraient peut-être à être lettrés plus finement. Le dessin reste dans la tradition de la caricature moderne, dépourvu de décor et de fioritures, comme dans le dessin politique.

Mais ce catalogue d’expressions de visage, ce sens aigu du détail qui tue, cette façon de résumer les looks des personnages, ce sens de la réplique qu’on s’envoie à soi-même, tout cela définit un style très à part qui fait de Bruller une artiste attachante, autant qu’énervante par la justesse de son ton : nous sommes en effet tous visés, quel que soit notre âge et notre sexe, par ces impitoyables saillies.

Un album à ne pas lire si on s’illusionne sur ce qui nous attend dans les années à venir. Car la seule chose qui ne vieillit pas, c’est de se moquer de ce qui nous fait vieillir.

Yves Frémion

J’veux pas vieillir, Hélène Bruller, Hugo-Desinge, 80 pages, 15 €