Carole Allamand, Le « Pacte » de Philippe Lejeune ou l’autobiographie en théorie, édition critique et commentaire, Honoré Champion, 2018.

Biographie d’un pacte

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Parmi toutes les notions littéraires développées ces cinquante dernières années en France, le « pacte autobiographique » occupe une place de choix. Philippe Lejeune a, toute sa carrière durant, exploré et éclairé de ses nombreux travaux le champ littéraire autobiographique dans lequel régnait, jusqu’alors, un véritable flou théorique. De L’autobiographie en France (Armand Colin, 1971), jusqu’à Autogenèses. Les brouillons de soi 2 (Seuil, 2013) le critique a développé et fait évoluer une réflexion sur laquelle la présente étude se propose de revenir, en replongeant le lecteur dans les nombreux débats qu’elle a suscités.

Le livre de Carole Allamand se compose de deux parties. La première reproduit l’article de Philippe Lejeune, « Le pacte autobiographique », qui était paru pour la première fois dans la revue Poétique(1) en 1973 et qui avait été repris, par la suite, dans le célèbre livre éponyme(2). La seconde est une analyse, constituée de cinq chapitres, qui revient sur les « phrases les plus polémiques » de l’étude de Ph. Lejeune.

Inutile de revenir sur l’article du spécialiste de l’autobiographie qui a révolutionné le regard porté sur le genre, tant il a fait l’objet de synthèses, d’analyses et de citations. Le deuxième temps de l’ouvrage offre quant à lui une mise en perspective des problèmes soulevés par les travaux de Ph. Lejeune.

La critique revient notamment sur les impasses théoriques de la première définition de l’autobiographie qu’avait proposée Ph. Lejeune en 1971, définition fragilisée par la remise en cause, par les sciences humaines (dans les travaux de Lacan, de Bakhtine ou de Foucault), de l’unité du sujet. Le théoricien ne pouvait alors plus se baser uniquement sur des critères esthétiques, thématiques ou sur l’intention de l’auteur et décidait, en 1973, de « partir de la position du lecteur » pour définir le genre.

Carole Allamand aborde ensuite les questions liées à l’identité et au nom propre et rappelle les objections avancées par les théories postmodernes et déconstructivistes. Elle remarque, à juste titre, que nombre des reproches faits au « pacte autobiographique » reposent sur « une série de malentendus liés aussi bien à l’usage du terme d’identité dans la définition de 1973 qu’à l’ignorance des nuances apportées ultérieurement ». Car un des grands intérêts des théories lejeuniennes est que leur auteur a su les faire évoluer. En ce qui concerne l’identité, ce sont les travaux de Paul Ricœur qui lui ont permis de « dépasser l’aporie du sujet insaisissable ».

L’auteure retrace par ailleurs l’histoire du débat initié par la théoricienne Elizabeth Bruss – dans la lignée des travaux de Searle – sur le caractère contractuel de l’autobiographie et rapporte, dans le dernier chapitre, les critiques concernant « l’indéfinissabilité de l’autobiographie » supposée par certains, en raison de la difficulté qu’il y aurait à circonscrire le genre et des problèmes liés à la possibilité même de « représenter fidèlement la vie ». Mais la manière dont Ph. Lejeune a répondu à ces critiques (réflexion sur la dimension performative de l’autobiographie, refus d’une approche uniquement structurale des genres,…) a révélé la spécificité du travail du théoricien : « L’originalité de Ph. Lejeune, à une époque obnubilée par le Texte, est d’avoir su, à la faveur d’une approche interdisciplinaire, déjouer le mythe de l’autarcie de la littérature ; d’avoir reconnu, au-delà de l’autonomie proclamée de la parole, la relation à autrui qu’elle implique ».

L’étude de Carole Allamand, qu’elle nomme modestement dans son introduction « ce petit livre », offre un éclairage synthétique des plus utiles et des plus pertinents sur l’histoire d’une notion qui a nourri nombre de débats passionnants ces quarante dernières années. Ce faisant, elle révèle non seulement la force du concept de « pacte autobiographique » mais aussi celle de son inventeur qui a su le faire évoluer au gré des controverses et des polémiques. C’est parce qu’il a été lui-même « le plus fervent critique du ‘Pacte autobiographique’», que Philippe Lejeune a donné à cette notion la légitimité et l’incontournabilité qu’on lui reconnaît aujourd’hui.

Notes :

1. Philippe Lejeune, « Le pacte autobiographique », Poétique, n°14, 1973.

2. Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975.

Arnaud Genon