«Le cigare au bord des lèvres»: Akim Gagnon de bar en bar

« C’est pour être plus libre qu’on écrit. » Voilà l’observation qu’offre Dany Laferrière au narrateur et alter ego d’Akim Gagnon, qui signe Le cigare au bord des lèvres, son premier roman. Dans cette autofiction faite d’élans éthyliques et de détresses scatologiques, sous le couvert d’une tonitruante paillardise se révèle un personnage vulnérable qui cherche, par l’écriture, à se libérer du regard des autres.

Le cycle pernicieux dans lequel est englué Akim Gagnon ne met pas de temps à se dévoiler. Alcool, drogue et arrogance, le personnage baigne dans l’excès : « La soirée débute à peine et je cherche déjà mes mots quand je m’adresse à mes ami.e.s. On dirait qu’une phrase sur deux que je prononce se pète la gueule dans les escaliers. Je compte sur la cocaïne pour me dessaouler un peu et mettre de l’ordre dans mes paroles. » Mais si on croyait s’inviter dans une fête, c’est plutôt les portes de l’enfer qui s’ouvrent un peu plus à chaque virée.

La fin de sa relation amoureuse, les dérives vertigineuses de la cocaïne et les échecs répétés de ses amourettes de remplacement le plongent dans la dépression. À travers l’écriture de son roman, mais surtout grâce à la thérapie qu’il entreprend, il mène une quête émancipatrice qui doit le libérer de ses démons. Or, le chemin est ardu : « Je n’ai pas changé d’un osti de poil. C’est toujours la provocation qui guide l’ensemble de mes idées. Je fais du surplace avec mes sentiments et je n’approfondis rien. »

À l’enfilade énergique des histoires de boisson se substitue alors une série d’introspections qui entament le rythme du récit. Les bonnes intentions s’invitent dans l’irrévérence traversée de vulnérabilités du personnage, qui perd de sa complexité. Heureusement, Akim Gagnon prend du mieux et, avec lui, la seconde partie retrouve son souffle : « Je veux faire le party pour célébrer l’édition de mon livre. Même s’il n’est pas terminé. Même si c’est un début de manuscrit. Je le terminerai un peu plus tard. Je dois d’abord partager la bonne nouvelle avec tous les bars de la ville. »

À l’abri de la drogue, installé dans une relation amoureuse stable, il voit ses envolées devenir moins périlleuses. Plus serein, on le sent prêt, enfin, à s’affranchir du regard des autres : « Est-ce que finalement je me suis encore fait avoir par moi-même et que je suis tombé dans le piège de la représentation ? Suis-je en train de donner un show, là, encore ? »

Le récit accuse parfois l’étourdissement de son ivresse, accumulant les pas de côté avant de se remettre à avancer, comme si le plaisir d’une bonne anecdote valait toutes les digressions. Mais le plaisir de lecture est au rendez-vous. Akim Gagnon y est généreux, prompt à une hilarante autodérision et touchant par sa propension à l’amour et à la tendresse. Habile mise en scène d’un grotesque rabelaisien, Le cigare au bord des lèvres a le lustre de ces soirées échappées, dans l’alcool et l’amitié, que les lumières du last-call viennent interrompre. Vivement la prochaine tournée.



Le cigare au bord des lèvres ★★★

Akim Gagnon, La Mèche, Montréal, 2022, 344 pages

Publié par Isabelle Grell