Récompensée ce 3 novembre au Drouant pour “Vivre vite”, récit centré sur la mort de son compagnon, cette inlassable guerrière de la littérature raconte depuis vingt ans les liens qui se brisent et la jeunesse perdue. Et toujours fait danser la langue. C’est pour un livre sur le flot de la mémoire, un récit sur le deuil et son dépassement que Brigitte Giraud vient de recevoir le prix Goncourt 2022. Vivre vite, centré sur les circonstances et les conséquences de la mort de son époux, en 1999, vient en écho d’un autre de ses ouvrages, À présent, paru en 2001, qui disait plus brutalement la disparition d’un homme, d’un amour, d’un corps en suspens. Ce n’est pas la première fois que Brigitte Giraud retricote des textes, les réunit, les fait converser en prenant d’autres voix, pour suggérer l’absence, les déchirures familiales et amoureuses.

Dès ses premières œuvres, comme l’inaugural La chambre des parents, en 1997, l’écrivaine choisit son camp, celui des modestes. Elle parle de l’adolescence, de la famille et des liens qui se brisent dans des textes comme J’apprends (2005) ou Nous serons des héros (2015). Elle évoque aussi le collectif, la société, l’enfance perdue, sans grandiloquence. Elle invoque la fraternité pour parler de l’Algérie des années 1950-1960 dans Un loup pour l’homme (2017). Et, à chaque fois, Brigitte Giraud met ses livres en musique, fait parler les corps et danser la langue.

Dans « la vraie vie », Brigitte Giraud est une guerrière de la littérature, qui fut tout à tour, et parfois même tout à la fois, libraire, traductrice, journaliste, éditrice, romancière, nouvelliste, conseillère littéraire de la Fête du livre de Bron. Voyageuse aussi, de Sidi Bel Abbes, où elle est née, en 1960, à Londres, Berlin, Paris ou Lyon. Méfiez-vous de sa voix douce, de son air de chaton, Brigitte Giraud n’a pas la littérature paisible, car elle affiche ses convictions et préfère les phrases courtes aux métaphores filées. On la sent parfois mélancolique, mais c’est à ce moment-là qu’elle se mettra à sourire et tout balayer d’un trait d’humour. N’y lire cependant nul penchant pour la dissimulation – le mot pudeur convient beaucoup mieux à cette romancière intense.

d'après Telerama, https://www.telerama.fr/livre/prix-goncourt-2022-brigitte-giraud-ou-l-art-de-faire-parler-l-absence-7012804.php Publié par Isabelle Grell