Robin Josserand, Prélude à son absence, Mercure de France, 2023.

Fou de Sven

Capture_d_ecran_2023-08-18_a_14.56.47.png Dans Fou de Vincent (Minuit, 1989), à propos de sa relation au personnage éponyme, Hervé Guibert se demandait : « Qu’est-ce que c’était ? Une passion ? Un amour ? Une obsession érotique ? Ou une de mes inventions ? » (p.8). Le narrateur-auteur de Prélude à son absence, Robin, bibliothécaire Lyonnais, pourrait formuler les mêmes interrogations à l’égard de Sven, un jeune homme perdu, vivant dans la rue, qu’il rencontre dans la bibliothèque où il travaille et traque ensuite dans les rues de Lyon. Tout comme le Vincent de Guibert, il n’est pas à proprement parler beau : « une tache noire sur l’incisive droite, témoignage de la pauvreté, une disgrâce séduisante. (…) Les joues glabres, des cheveux lisses d’où sourdent des oreilles décollées. » (p.25-26). Tout comme le Vincent de Guibert, il n’est pas vraiment homosexuel. Ainsi s’engage alors l’histoire impossible du narrateur, ce moment où, dans le langage barthésien, « Je m’abîme, je succombe… » : « S’abîmer. Bouffée d’anéantissement qui vient au sujet amoureux, par désespoir ou par comblement. » nous dit Roland Barthes, dans ses Fragments d’un discours amoureux (Œuvres complètes V, Seuil, 2002, p.37).

Prélude à son absence – le titre l’annonce – est le récit de cet impossible amour, de ce désir irrépressible qui se dirige lui-même jusqu’à sa propre perte. Sven vient vivre un temps chez le narrateur qui fait tout pour l’avoir à ses côtés, malgré les refus du jeune homme, de ses menaces, même, si Robin venait à le toucher. Cependant Sven, pour des raisons obscures, semble chercher à fuir Lyon. Le narrateur saisit l’occasion et l’emmène avec lui en Bretagne, sur l’île de Groix, dans une petite maison louée pour la circonstance. Là, espoirs et désillusions se succèdent au rythme des averses et des éclaircies, envies et dégoûts de l’autre alternent, les corps se rapprochent pour mieux se repousser. Le long des falaises, au bord de la pointe de l’Enfer, les pensées traversent l’esprit du narrateur : le pousser, être poussé, se suicider devant ses yeux ? Guibert, encore, à la fin des Gangsters (Minuit, 1988), avec Vincent alors qu’ils marchaient non loin du Trou du Diable, se demandait : « Il faut juste que j’atteigne l’autre versant du gouffre. Je ne l’ai pas entendu venir, je sens les mains de Vincent dans mon dos. Est-ce qu’elles me poussent ou est-ce qu’elles me caressent ? » (p.108-109)

En fait, le narrateur de Prélude à son absence en fera lui-même le constat : « Sven, le voyage avec lui, n’avait pas d’autre but que celui de me faire écrire à nouveau ». L’écriture est avant tout une histoire de désir, Robin Josserand l’illustre à merveille dans ce premier roman où foisonnent, comme un hommage, les références-révérences aux écrivains et artistes admirés (Genet et Glenn Gould en tête). Un premier roman tout en délicatesse, qui déplie le désir amoureux, ses envolées et ses chutes, où l’écriture de soi, jamais complaisante, se fait littérature, dans ce qu’elle a de plus juste.

Arnaud Genon, le 22/08/2023