Mathieu Simonet, La Fin des nuages, Julliard, 2023

Un Mausolée des amants

9782260055631ORI.jpg On pourrait reconnaître l’écriture de Mathieu Simonet entre mille. Ce pourrait être grâce à son style – une écriture presque blanche, simple, toujours juste et poétique à la fois – mais c'est aussi dans la manière dont il construit ses histoires. Ce sont de savantes marqueteries où se juxtaposent, se mélangent et finissent par se croiser des voix, des fils narratifs à travers lesquels se donne à lire la vie de l’auteur, prise dans une trame d’événements qui devient, comme par enchantement, romanesque. En fait, Mathieu Simonet a toujours eu ce pouvoir de faire de sa vie un roman, de transformer ses pertes – ses carnets dans Les Carnets blancs (Seuil, 2010), sa mère dans La Maternité (Seuil, 2012), son père dans Barbe rose (Seuil, 2016) – en autant d’histoires de soi où affluent les histoires des autres, où le « je » de l’auteur s’ouvre à ceux qu’il invite dans son écriture afin de créer un espace qui relève de la chorale autobiographique ou de l’autobiographie chorale.

Dans La Fin des nuages (sous-titré « Manifeste poétique »), Mathieu Simonet interroge la capacité des Hommes à maîtriser la pluie. C’est une longue histoire qui remonte au Moyen-âge, lorsqu’au VIIIe siècle des « vierges couvertes de bijoux » étaient « jetées dans les eaux d’un gouffre sacré en échange de gouttes de pluie », vieille histoire qui rencontre la sienne, plus précisément celle de son « amoureux », Benoît, décédé en février 2020 et qui, directeur du Festival Fnac Live Paris, s’inquiétait tous les ans de voir la pluie venir perturber cette manifestation qui se jouait à ciel ouvert. Et cette histoire est liée à une autre, celle de « l’effet papillon » qui fascinait Benoît : un souffle, son dernier souffle, aurait-il pu avoir une incidence sur la météo, un soir de juin ? L’enquête est alors lancée : « La première phrase que Benoît a prononcée, le dernier souffle qu’il a expiré, ont-ils eu un impact sur le monde ? »

Ainsi, Mathieu Simonet nous embarque dans ce récit-manifeste poétique, celui d’une disparition, d’une mort, mais aussi des conséquences qu’elle aurait pu avoir sur l’environnement :

Après sa mort, j’ai voulu comprendre comment fonctionnaient les nuages. Je rêvais de trouver une explication crédible qui illustrerait que son dernier souffle avait peut-être provoqué une pluie.

J’avais besoin de croire en quelque chose qui me dépassait. Une religion sur mesure que je créais pour Benoît.

En ce sens, La Fin des nuages n’est pas seulement un roman qui raconte la manière dont les Hommes ont toujours voulu maîtriser la pluie et les nuages, jusqu’à leur ensemencement et les conséquences « géopolitiques, sanitaires et environnementales » que cela soulève, mais c’est aussi, par le truchement de l’enquête historique et juridique qu’il mène, une façon de transcender un deuil – comme par un effet papillon – de donner un sens à la perte, autant qu’elle puisse en avoir.

L’effet papillon. De ce rêve – les conséquences du dernier souffle de « l’amoureux » sur le monde – Mathieu Simonet fait des montagnes. Il crée la « Journée internationale des nuages », invite des écoliers et collégiens à les observer tous les 29 mars et à consigner ce qu’ils voient, il initie avec eux une démarche juridique pour que les nuages soient protégés par l’UNESCO. Désormais, il ne faudra plus les craindre, comme lorsqu’ils menaçaient le Festival, mais les défendre…

« Tu pourras écrire tout ce que tu veux sur moi : je ne veux pas qu’on m’oublie ». Voilà ce qu’avait déclaré Benoît à Mathieu Simonet, quelques jours avant sa mort, lui qui jusqu’alors avait refusé d’être un de ses « personnages ». Parti dans les nuages, comme disent les enfants, il est légitime que son « amoureux » les protège désormais. C’est une manière de ne pas l’oublier. Et par effet papillon, celui qui fascinait Benoît, mais aussi par la magie d’un battement de plume, celle avec laquelle Mathieu Simonet écrit, le roman La Fin des nuages, se fait Mausolée des amants. Bouleversant. À la poésie un peu folle, mais follement douce, comme la caresse d'un nuage...

Arnaud Genon

Mise en ligne le 19/09/2023