Le nouveau roman de Marie Demers parle d'un moment charnière de sa vie où il a fallu écrire ce qu'elle avait le moins envie de dire.

Les détournements

L’écrivaine Marie Demers a habitué ses lecteurs à l’autofiction depuis des années, leur offrant des romans percutants comme In between et Les désordres amoureux. Cette année, elle franchit un pas de plus dans l’exploration de ce genre littéraire avec l’intention de dénouer et démonter certains des traumatismes et des patterns qui l’ont freinée dans son développement. C’est ce qu’elle fait, de façon crue et sans compromis, dans Les détournements.

Dans ce nouvel ouvrage, qui ne fait pas dans la dentelle, Marie Demers montre qu’elle est arrivée à un moment charnière de sa vie, à un tournant, où il faut mettre fin à ce qui l’empêche d’avancer.

Elle fait des liens entre les blessures d’adulte et celles de l’enfance, décrit des relations amoureuses tumultueuses, des désillusions au sujet de la vie familiale, les nombreux obstacles qui jalonnent sa vie professionnelle. Tout en cherchant ce qui va l’aider à garder le goût de vivre, en faisant une profonde introspection, elle fait le ménage.

En entrevue, Marie Demers explique cette étape difficile, mais nécessaire, dans son parcours d’écrivaine. «À un moment donné, dans le livre, je dis qu’un des plus grands drames de ma vie, c’est de sentir que je ne me sens pas vue.»

«Pour moi, il y a quelque chose d’un peu égocentrique et narcissique dans le désir de vouloir être vue pour qui je suis. Pas pour une version embellie, parce que je ne pense pas présenter une version embellie du tout, mais quand même une version qui est honnête, qui est au plus proche de ma vérité. Celle qui prend tout ce qu’il y a de laid, avec ce qu’il y a de beau, et qui en fait un package nuancé malgré tout.»

Moments de doute

L’écriture a été difficile. «À un moment donné, la forme épouse le fond. Je parle de la famille. Je fais des liens entre les relations amoureuses et la famille. Les deux derniers chapitres, ça a été assez dur pour que je me dise: je ne serai pas capable d’écrire ça. Ça a été vraiment tough et il y avait évidemment des moments de lumière, comme chaque fois qu’on écrit. J’ai eu des gros moments de doute, à me dire: pourquoi je m’inflige ça?»

Marie Demers ajoute que l’écriture était de l’ordre du besoin. «Si je n’écrivais pas ce roman-là, je ne sais pas si j’aurais pu continuer à écrire.»

Il fallait qu’elle se déleste d’un poids. «J’expose ma thérapie, là-dedans. Mais en même temps, je n’ai pas encore envie d’avoir un discours sur la littérature comme outil de réparation. Il y a quelque chose de cathartique dans l’écriture d’un livre, mais ça ne règle rien. Le chemin se fait en amont et après.»

La fin de la trentaine

L’écriture est très contemporaine et reflète le vécu d’une femme de 37 ans qui a frappé un mur. «La dépression profonde a été l’élément déclencheur. Être dans un état d’inertie, où je ne suis plus capable de rien faire. Un niveau de délabrement dégoûtant, humiliant, à la limite.»

Elle était passée, ajoute-t-elle, «d’une personne ultra-efficace, qui court tout le temps d’une affaire à l’autre, qui essaie d’être bonne au travail, de voyager, d’avoir des accomplissements, de lire les livres, d’aller au théâtre... D’être tout le temps en train de penser au prochain accomplissement sans jamais savourer le moment. De s’étourdir, aussi. Le point charnière, c’est que j’étais rendue au bout de mes détournements.»

Les détournements, Marie Demers, Éditions Hurtubise, 346 pages

https://www.journaldemontreal.com/2023/12/16/le-nouveau-roman-de-marie-demers-parle-dun-moment-charniere-de-sa-vie-ou-il-a-fallu-ecrire-ce-quelle-avait-le-moins-envie-de-dire

Mise en ligne Isabelle Grell