Lionel Duroy, Disparaître, Éditions J’ai lu, 2023

Lionel Duroy en voya/je

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Lionel Duroy poursuit, avec Disparaître, la mise en écriture de sa vie, plus précisément, celle de son double, Augustin, avec qui l’auteur ne fait plus qu’un. Pour preuve, la quatrième de couverture du présent livre ne distingue pas l’auteur du narrateur, attribuant à Lionel Duroy les aventures que raconte Augustin. À force de romans, de mises en scène de la famille, des parents, des enfants, des femmes, on est désormais coutumier des différents protagonistes de cette saga intime qui s’écrit depuis plus de trente ans.

Ici, les enfants ont grandi, ils ont tous désormais leur vie, leur situation. Ils n’ont pas été réunis depuis longtemps mais Augustin veut leur annoncer qu’il souhaite, à soixante-dix-ans, entreprendre un long voyage à vélo et gagner Stalingrad. Cependant, les retrouvailles ne se passent pas comme prévu, il faudra donc attendre les derniers moments de la journée pour parler du départ. Car plein de rancœurs, de rancunes, les (demi)frères et (demi)sœurs ont des comptes à rendre, rappellent combien chacun a souffert des divorces, de la recomposition familiale, des nouvelles naissances, des livres écrits, aussi. Ainsi Anna, Claire, Coline, David refont leur enfance et Augustin se voit reproché d’avoir tout sacrifié à l’écriture : « tu penses, lui dit Coline, qu’écrire est au-dessus des liens familiaux, de l’amitié, au-dessus de tout, en fait. Tu penses qu’il faut tout dire, ne rien cacher, ne rien oublier. Mais moi je pense que les liens familiaux sont plus importants que l’écriture. » Ils ne parviendront pas à se mettre d'accord. Pour Augustin, il n'y a pas de vie possible sans écriture. Pour les enfants, l'écriture pèse sur leur vie...

La deuxième partie du roman est le récit du voyage. Traversée de l’Europe (Roumanie, Moldavie, Transnistrie), mais aussi traversée littéraire, sur les traces des auteurs qui guident le narrateur dans ce cheminement géographique et intérieur : les lettres de Günter Flügge, « découvertes au marché aux puces de Hambourg », soldat allemand mort à Stalingrad en 1943, le roman La fuite de Tolstoï d’Alberto Cavallari, qui raconte les derniers jours de l’écrivain russe et son souhait de disparaître, l’autobiographie de Petru Dumitriu, écrivain roumain ayant fui le communisme en 1960, ou encore Kaputt de Malaparte. La route, aussi bien que les livres qui l’accompagnent, sont l’occasion d’une réflexion sur la disparition, sur les raisons qui poussent le narrateur à entreprendre sa propre fuite. Lors de ce voyage, il rencontrera deux femmes : Andjelija puis Valentina. Il vivra avec la première une courte histoire d’amour et redonnera goût à la vie à la seconde. Et bien sûr, tout sera matière à écriture, son roman d’un côté, son journal de l’autre, ne pouvant jamais totalement vivre le présent, car toujours pris dans la reconstitution du passé.

« Finalement, note le narrateur, seules les œuvres d’enquêteurs obstinés de notre intimité, pour ne pas dire de notre folie – Ingmar Bergman, Thomas Bernhard, Fritz Zorn, Saul Bellow, Rainer Maria Rilke… –, m’auront donné la force de continuer à écrire. » Lionel Duroy, avec Disparaître, est résolument de ceux-là, de ces enquêteurs obstinés, qui traquent leur propre passé, partagent les secrets et donnent à lire la vie, dans sa complexe beauté, sa fragilité et que les mots tentent de sauver du néant.

Arnaud Genon

Mise en ligne le 14 janvier 2024